Grand Entretien – Christophe Galfard: “L’humanité ne trouverait aucun avantage à se déplacer vers une autre planète”
Sciences et technologies

Grand Entretien – Christophe Galfard: “L’humanité ne trouverait aucun avantage à se déplacer vers une autre planète”

Quelles sont les choses les plus spectaculaires que les télescopes ont pu révéler ? 

Le télescope a dévoilé avant tout l’immensité incommensurable de notre univers.Si l’on devait isoler un aspect particulièrement saisissant de notre univers, ce serait sans aucun doute cette immensité vertigineuse. Avant d’orienter nos regards et nos instruments vers les cieux, nous n’avions qu’une compréhension vague et limitée de l’ampleur de l’univers. L’idée prévalait que l’univers était vaste, certes, mais sa grandeur réelle dépassait toute imagination.

Cette prise de conscience s’est faite graduellement, et les chocs sont venus par paliers. Le premier a été la réalisation, grâce au philosophe Emmanuel Kant, que notre Terre fait partie d’un conglomérat d’étoiles, une galaxie baptisée la Voie lactée. Cette découverte a modifié notre perception de notre place dans l’univers.
Le début du XXe siècle a apporté une autre révélation majeure : l’existence d’autres galaxies, chacune abritant des centaines de milliards de soleils. Cette découverte a élargi notre vision de l’univers, mais ce n’était que le début.

À la fin du XXe siècle, les télescopes comme Hubble ont été pointés vers les abysses obscurs de l’espace, dans des zones apparemment vides, entre les étoiles. Ce qu’ils ont révélé dépasse l’entendement : des dizaines de milliers de galaxies lointaines, dissimulées dans ces petites poches de noirceur. L’univers, dès lors, nous est apparu dans toute sa majesté et son immensité.

Le livre que j’ai écrit se veut être une sorte de roman photographique de l’univers tel que nous le comprenons et le voyons aujourd’hui. À travers la lumière qui nous parvient, nous explorons son immensité, mais aussi sa finitude, car notre vision, bien que s’étendant loin, ne peut embrasser l’infini. Cela ne signifie pas pour autant que l’univers lui-même n’est pas infini.

Si je vous téléportais à n’importe quel endroit de l’univers, vous ne survivriez pas une seconde

Quels enseignements pouvez-vous tirer de toutes ces observations sur l’état de notre planète ?

Lorsque nous explorons les profondeurs de notre galaxie, nous parvenons à discerner avec une précision croissante les merveilles qu’elle renferme. Nous assistons à l’éclosion d’étoiles, telles que notre propre Soleil, et à la naissance de planètes, certaines pouvant vaguement évoquer la Terre.
Nous déchiffrons l’histoire des mondes et des astres. Parallèlement, notre quête nous a menés à la découverte d’autres planètes déjà formées, les exoplanètes, qui gravitent autour d’étoiles autres que notre Soleil. Aujourd’hui, nous en connaissons environ 5 000, alors que la première n’a été observée qu’il y a une trentaine d’années. Notre galaxie abriterait, selon les estimations, près de mille milliards de ces planètes, offrant ainsi un panorama et un éventail d’une diversité cosmique insoupçonnée.

Longtemps, la Terre fut perçue comme un joyau d’unicité dans l’immensité de l’univers, principalement en raison de sa capacité à abriter la vie, une singularité que nous n’avons pas encore décelée ailleurs. Il existe peut-être d’autres planètes comme la nôtre, mais nous ne les connaissons connaît pas. C’est pourquoi elle est unique.

La diversité planétaire est stupéfiante : des planètes de tailles variées, avec ou sans atmosphère, certaines trop proches de leur étoile, d’autres trop éloignées pour permettre l’existence d’eau liquide. Ces observations nous permettent de prendre conscience des conditions exceptionnelles qui prévalent sur notre Terre, un havre de vie dans un univers gigantesque et protecteur où la majorité des mondes se révèlent extraordinairement hostiles à la vie. L’espace interstellaire, les étoiles, la plupart des planètes – tous sont des environnements inhospitaliers. Notre planète, en revanche, est un lieu où la vie non seulement prospère, mais s’épanouit. Si je vous téléportais à n’importe quel endroit de l’univers, vous ne survivriez pas une seconde.
La Terre offre une abondance d’endroits agréables et vivables.

En observant depuis quelques dizaines d’années Mars et Vénus, nous apprenons sur les conséquences possibles des perturbations climatiques. Mars illustre ce qui arrive quand une atmosphère devient trop ténue, perdant presque tout son effet de serre. Il y fait froid, il n’y a pas d’air. À l’inverse, Vénus montre les effets dévastateurs d’un effet de serre exacerbé qui devient catastrophique. Car nous estimons que la température sur Vénus, il y a très longtemps, était similaire à celle observée sur terre. Aujourd’hui, la température moyenne à la surface de Vénus est de plus de 465 degrés. Toute forme de vie que nous connaissons y est impossible, alors que ce n’était peut-être pas le cas à une époque. Ces exemples nous montrent à quel point notre monde est précieux, et soulignent l’importance cruciale de sa préservation.

Précieux ou fragile ?

La notion de fragilité est intrinsèquement complexe, car elle se définit toujours en relation avec un contexte spécifique. En ce qui concerne l’existence humaine, elle peut indéniablement être qualifiée de fragile. Cette fragilité se manifeste par notre dépendance à un ensemble de conditions très précises sur Terre. Retirez certains éléments essentiels de notre environnement, et notre survie devient immédiatement compromise, à moins que nous ne nous retranchions derrière des protections technologiques, comme des bulles artificielles.

Cependant, d’un point de vue plus large et naturel, notre existence s’inscrit dans un réseau de dépendances mutuelles. Elle est intimement liée à la richesse de la vie animale et végétale qui peuple notre planète, sans laquelle l’humanité ne pourrait subsister. Notre atmosphère joue un rôle protecteur vital, non seulement en nous fournissant l’oxygène nécessaire à notre respiration, mais aussi en nous préservant des rayonnements solaires et cosmiques nocifs. Elle régule les températures, maintenant un climat globalement agréable et propice à la vie. Cette interaction complexe entre les différents aspects de notre planète souligne à quel point notre existence est non seulement précieuse, mais également vulnérable aux changements de notre environnement.

Nous ne disposons pas de données suffisantes pour affirmer avec certitude si des phénomènes similaires à ceux observés sur Terre se sont produits sur d’autres planètes comme Vénus ou Mars

L’impact de l’homme sur le climat, est-il unique dans l’univers ?

Lorsqu’on aborde l’impact de l’homme sur le climat, il convient de distinguer l’échelle de l’univers de celle de l’histoire terrestre. Ce n’est pas la même chose. À l’échelle cosmique, notre connaissance est encore embryonnaire. Nous ne disposons pas de données suffisantes pour affirmer avec certitude si des phénomènes similaires à ceux observés sur Terre se sont produits sur d’autres planètes comme Vénus ou Mars. Ces planètes ont connu des évolutions climatiques radicales, mais attribuer ces changements à une vie antérieure relève davantage de la spéculation que de la certitude scientifique.

En revanche, en se concentrant sur la Terre, notre planète, nous disposons d’une riche histoire géologique et climatique, documentée par des outils de mesure précis. Par exemple, les premières espèces capables de photosynthèse ont profondément modifié l’atmosphère terrestre en libérant de l’oxygène. Avant cette ère, l’oxygène était pratiquement inexistant dans l’air, et les formes de vie présentes ne s’en servaient pas. L’apparition de l’oxygène a donc été un événement perturbateur, entraînant des extinctions massives et décimant une quantité colossale de vivants, mais aussi ouvrant la voie à de nouvelles formes de vie et à une transformation complète du climat.

Ce que nous observons actuellement, cependant, est sans précédent en termes de vitesse. Jamais, dans l’histoire de la Terre, un changement climatique n’a été aussi rapide et aussi directement lié à l’activité humaine. Des phénomènes naturels comme les éruptions volcaniques ont certes influencé le climat, mais jamais à un rythme aussi soutenu. Les projections actuelles indiquent que même une augmentation de deux ou trois degrés de la température moyenne globale entraînerait des conséquences dévastatrices pour l’humanité, ce qui souligne l’urgence et la gravité de notre situation actuelle.

Existe-t-il des innovations qui pourrait jouer un rôle important dans l’atténuation du dérèglement climatique ?

En tant que physicien théorique, ma spécialité n’est pas l’innovation technique, mais plutôt la compréhension des phénomènes fondamentaux. Cela me permet d’appréhender clairement les répercussions d’un réchauffement climatique, qui sont, à mon avis, assez évidentes et aisément prévisibles. Le domaine des technologies visant à atténuer le désordre climatique actuel est vaste et diversifié. La faisabilité de ces technologies dépend de nombreux facteurs, notamment l’ampleur des interventions nécessaires, leurs coûts, et les éventuelles répercussions qu’elles pourraient engendrer.

À mon sens, les solutions les plus simples sont souvent les plus efficaces. Je pense notamment à la plantation d’arbres, capables de séquestrer le carbone, à la lutte contre la déforestation, et surtout à la nécessité de réduire nos émissions massives de dioxyde de carbone et d’autres gaz à effet de serre. Si nous ne parvenons pas à freiner ces émissions, c’est comme si nous nous injections un virus tout en lui administrant un vaccin. Il serait donc plus sage et logique de ne pas introduire le problème en premier lieu.

Pourquoi la prise de conscience du dérèglement climatique n’est-elle pas plus globale ?

Plusieurs facteurs contribuent à la complexité de la prise de conscience globale du dérèglement climatique. D’abord, il y a l’influence considérable des lobbies pétroliers, qui propagent des contre-vérités pour des intérêts financiers. Cette situation est comparable au lobbying exercé par l’industrie du tabac, où des médecins rémunérés par cette industrie ont longtemps prétendu que fumer était parfois bénéfique, même pour les femmes enceintes.

Ensuite, l’anxiété générée par la réalité du dérèglement climatique joue un rôle non-négligeable. Il est souvent plus simple d’adhérer à des croyances rassurantes, même infondées, que de se confronter à une vérité dérangeante et complexe. Accepter cette réalité demande un effort intellectuel et émotionnel considérable.
Enfin, la façon dont les informations sur le climat sont souvent présentées peut être perçue comme culpabilisante, ce qui complique encore leur acceptation. Pour la personne lambda, modifier son quotidien afin de réduire son empreinte climatique représente un défi de taille. Il est bien plus aisé de nier l’existence du problème plutôt que de reconnaître sa réalité et d’agir en conséquence.

Alors vous qui êtes l’auteur d’un livre pour enfant « le prince des nuages » comment l’expliqueriez-vous à un enfant ?

La métaphore est en réalité fort simple. Imaginez une cocotte-minute sur le feu : lorsqu’on y place un couvercle, la chaleur s’accumule plus rapidement. Cette analogie s’applique directement à la situation climatique de notre planète. Les gaz à effet de serre que nous rejetons dans l’atmosphère agissent comme un couvercle sur la Terre. Ils permettent aux rayons du soleil de pénétrer, mais entravent la libération de la chaleur. Ainsi, même si cette chaleur finit par se dissiper, comme dans le cas du couvercle chaud de la cocotte, l’équilibre thermique atteint est nettement plus élevé.

Sans ce “couvercle” de gaz à effet de serre, la température moyenne de la Terre se stabiliserait autour de 14 à 15 degrés Celsius. Mais avec l’accumulation actuelle de ces gaz, cet équilibre thermique est en train de se déplacer vers des valeurs plus élevées, potentiellement entre 15 et 19 degrés. Cela peut sembler négligeable en première approche, mais ce changement modifie profondément l’équilibre climatique de notre planète, avec des conséquences considérables.

Comment identifier les mesures les plus efficaces dans la lutte contre le changement climatique ?

C’est une tâche complexe. Comme première étape, une réduction de la consommation de viande pourrait être envisagée, symbolisant l’idée que de petites actions individuelles peuvent mener à de grands changements collectifs. Toutefois, la dimension politique de cette problématique ne saurait être négligée. Laisser carte blanche aux dirigeants politiques sans un cadre de responsabilité clair risque de perpétuer des intérêts financiers contraires à l’intérêt écologique.
D’un point de vue politique, la protection de l’environnement devrait être considérée comme une valeur fondamentale, au-delà de tout clivage idéologique. Tout comme certaines normes éthiques sont universellement acceptées, comme l’interdiction de tuer, la pollution de notre planète devrait être traitée avec la même sévérité. La force des sociétés humaines réside dans leur capacité à s’unir politiquement pour prendre des mesures globales et significatives.

Lorsque l’éducation et la sensibilisation conduisent la population à une meilleure compréhension des enjeux climatiques, les politiques n’ont d’autre choix que de s’aligner sur ces attentes, sous peine de perdre leur légitimité. C’est donc une question de connaissance, d’éducation et de volonté politique. Les lobbies jouent un rôle déterminant en essayant de fragmenter cette prise de conscience, mais face à un public bien informé et engagé, leurs efforts peuvent s’avérer vains.

Même dans un scénario hypothétique où la température de la Terre augmenterait de 8 degrés, notre planète resterait bien plus hospitalière que tout autre monde connu dans notre univers

L’avenir de l’humanité passe t’elle par la protection de la planète ou l’expansion vers d’autres planètes ?

L’idée d’une expansion humaine vers d’autres planètes est intrinsèquement limitée, et ce, quelles que soient les circonstances. Même dans un scénario hypothétique où la température de la Terre augmenterait de 8 degrés, notre planète resterait bien plus hospitalière que tout autre monde connu dans notre univers. L’hostilité inhérente au reste de l’univers ne peut être comparée à celle de la Terre, même en envisageant une augmentation de 10 degrés de la température moyenne terrestre, ou la survenue de phénomènes climatiques extrêmes comme des typhons ou des tsunamis.

L’humanité ne trouverait aucun avantage à se déplacer vers une autre planète. La Terre demeure, malgré ses défis climatiques, un havre de vie sans égal dans l’immensité cosmique. L’idée de coloniser d’autres planètes relève davantage de la science-fiction que d’une possibilité réaliste. Nous n’avons, en effet, pas d’autre Terre à notre disposition. Notre planète reste notre unique et précieux foyer, et sa préservation est indispensable à notre survie.

Mieux vaut la terre que le chaos de l’univers ?

L’aspect parfois terrifiant de l’univers est une perception que je ne partage pas. Au contraire, je suis fasciné par la beauté et l’ingéniosité des cycles cosmiques. Dans l’univers, les cycles de vie et de mort des étoiles sont remarquablement semblables à ceux que nous observons sur notre propre planète. La fin d’une étoile, bien que pouvant sembler cataclysmique, est en réalité un acte de création : c’est dans la mort des étoiles que sont dispersés les éléments fondamentaux qui forment les planètes et, potentiellement, la vie. Notre propre existence est redevable à de telles étoiles, dont les explosions ont enrichi notre coin de l’univers des éléments qui composent nos corps aujourd’hui. Sans ces étoiles mourantes, la vie, telle que nous la connaissons, n’aurait pas pu émerger.

Il y a donc un cycle cosmique, où les étoiles naissent, illuminent, puis disparaissent, semant ainsi les graines de nouvelles générations stellaires et de mondes potentiels. Ces cycles se déroulent à une échelle gigantesque, témoignant de la continuité et de la transformation incessante de l’univers.

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