Train train quotidien, petites habitudes… et si les routines étaient primordiales à notre équilibre
Santé

Train train quotidien, petites habitudes… et si les routines étaient primordiales à notre équilibre

La routine a mauvaise réputation. Lorsqu’on en parle c’est souvent de façon péjorative. Et pourtant les routines ont du bon. Elles sont peut-être même essentielles. C’est ce que nous expliquent les experts, philosophes, sociologues et médecins que nous avons rencontrés.

Qu’est-ce que la routine ? Le Larousse la définit comme “un ensemble bien établi d’habitudes qui crée un état d’apathie, une absence d’innovation.” 

Pour autant la routine n’est pas une maladie. Plus que nous contraindre, elle peut nous apaiser. Ses combinaisons sont infinies et de nombreux experts s’accordent à dire que les routines peuvent même être une aide nécessaire et importante dans notre quotidien. 

“J’adore les routines. Elles sont la base inverse de l’ennui, un socle joyeux autour duquel j’improvise. Une barquette de fraises, une nouvelle confiture…chaque matin la routine du petit-déjeuner est un moment de détente” raconte la journaliste Laurence Postic, enthousiaste.

Les routines offrent le luxe d’un temps pour soi. Elles simplifient la vie, libèrent le cerveau d’avoir à prendre en permanence de petites décisions. Sans elles nous devrions toujours compter sur notre volonté pour nous octroyer des instants de relâchement. En réduisant la charge mentale elles nous rendent plus créatifs.

“Les êtres humains courent. Entre le moment où ils se lèvent et arrivent dans leur voiture, c’est comme s’ils n’avaient pas vécu” décrit Françoise Mc Lean, coache en Méditation de Pleine Conscience.

C’est comme s’ils vivaient à quelque pas de leur corps, leur tête prévoyant la suite. Il faut se rééduquer, apprendre à ralentir.

Une vie que l’on voudrait faite uniquement de spontanéité serait probablement invivable. Si nous devions réfléchir chaque jour à l’endroit où sont rangés les bols du petit-déjeuner ou changer systématiquement de trajet pour nous rendre au travail, non seulement ça serait chronophage, mais nous deviendrions fous, saturés mentalement.

Les routines organisent la vie courante. L’événement désorganise nos habitudes. Nous inventons de nouveaux repères pour traiter l’incertitude ou le changement.

Marcel Calvez, sociologue

“Très tôt les routines donnent aux jeunes enfants des repères temporels sécurisants, comme la fameuse chorégraphie : goûter, devoirs, jouer, dîner, dents, histoire et dodo. Le chemin est balisé, il n’y a pas de surprise. C’est reposant” explique Myriam Mykati, psychologue spécialisée en neuropsychologie au CHU de Rennes.

La routine réduit le stress, congédie nos peurs, structure les journées et nous rassure.
Les petites routines du matin, sont aussi des bornes sur le chemin pour se mettre en train. Un antidote à la procrastination. 

“Tous les matins je donne à manger à mon chat rebelle et à mes poules plus onéreuses que si j’achetais des œufs. Parfois, surtout lorsque le temps est mauvais, je me demande pourquoi je m’inflige ce travail. Mais je me force à le faire car ça fait de la vie, de l’animation autour de moi. Ces routines m’aident à démarrer la journée” raconte le retraité François Bihannic.

On se sent dans les clous. Les routines nous assurent que tout est bien en ordre autour de nous.

Claude Martin, sociologue

Dès le Moyen Âge, les moines instaurent les routines en divisant leur journée en micro tâches. Ce mode de vie les aide à rester plus concentré dans leur travail et leurs réflexions. Ils cherchent à se détacher de la vie matérielle pour accéder à une vie plus spirituelle.

Parce qu’elles se répètent, les routines permettent de mieux mesurer ce qui ne se répète pas et aident à appréhender la progression.

Mélodie Klein, accompagne des ateliers d’Intégration Motrice Primordiale (IMP). Son travail est de mettre en place des routines. Elle explique : “Je demande à mon “apprenant” de formuler son objectif final de manière positif. Ainsi : ” je ne veux plus avoir mal au dos” devient : “si je n’avais pas mal au dos je pratiquerais tel sport” et nous choisissons ensemble les mouvements du programme moteur à pratiquer quotidiennement. 21 jours consécutifs de pratique seraient nécessaires à l’intégration d’une routine. Grâce à la mise en place de ces petits gestes routiniers, un enfant maladroit, perdant toujours son équilibre a retrouvé une sécurité physique dans son corps, un autre par des jeux de transvasements de grains dans des sacs a gagné en coordination…” illustre-t-elle.

La routine redonne confiance en soi.

“Pour pérenniser une routine, il faut qu’elle plaise et soit courte” ajoute Mélodie Klein.  
Sans motivation ni sens, une routine s’épuise. “Mes apprenants progressent grâce à une routine évolutive, on ajoute, on retire, on amplifie…” poursuit-elle.

On ne réalise parfois la routine que lorsqu’un imprévu vient la perturber.“Si au supermarché, “Monsieur Marketing” a déplacé les produits, certaines personnes en situation de handicap ou avec une incapacité intellectuelle seront perdues, n’auront ni la capacité sociale à demander où se trouve leur produit ni la capacité à essayer de le chercher ailleurs dans ce même espace” explique Marcel Calvez, sociologue.

La situation de handicap se caractérise par une difficulté, voire une impossibilité, à établir de nouvelles routines.

“Dépendantes, vulnérables, certaines personnes âgées veulent des barrières de lit parce qu’elles ont peur de tomber. Vue de l’extérieur, cette routine peut paraître effrayante. Détrompez-vous, cette routine est extrêmement adaptée et rassurante à ce moment de leur vie. Choisie et non-subie, la routine est une vraie source de bien-être. Il faut s’adapter à leurs capacités et surtout ne pas juger” explique Armelle Gentric, la cheffe d’un service de court séjour gériatrique.

Nous les accompagnons pour garder leur route la plus large possible.

Armelle Gentric

Cheffe d’un service de court séjour gériatrique

“Apprendre à bouger dans des limites plus étroites c’est peut-être leur conquête du quotidien. Elles n’ont pas perdu la joie de vivre” poursuit la gériatre. 

Moins banales qu’on ne le croit 

Dès notre jeune âge nous apprenons et pratiquons les routines qui sont attendues de nous dans le milieu dans lequel on vit. Ces convenances, conduites ou postures stéréotypées, ces certitudes organisent la relation avec les autres. “Les Anglo-saxons se saluent en pratiquant le signe du cœur avec les deux mains, tout en répétant ” I love you, I love you”, mais dans une autre culture comme en Malaisie ils se touchent les doigts avant de venir placer leur paume sur leur cœur” explique le sociologue Claude Martin. Retirées de leur contexte, ces routines peuvent paraître niaises, banales, anodines mais elles puisent leur force dans la répétition et mettent du liant dans la société.

Ces gestes répétés s’imprègnent en nous et participent de notre identité.

” Les routines peuvent s’apparenter aux apprentissages que nous faisons tout au long de notre vie pour nous ajuster au monde social qui nous environne. On pourrait dire que ces pratiques répétées, cette combinaison d’us et coutumes, correspondent à la manière dont la société nous entre sous la peau, pour reprendre l’expression de Wilfried Lignier ” poursuit le sociologue. 

Dans les milieux hostiles où la nature est féroce, les habitants doivent savoir tout faire avec leurs corps. Ensemble, ils accomplissent les mêmes gestes. Ils plantent leurs graines, font les foins, réparent leurs toits, créent leurs vêtements, exécutent machinalement au fil des saisons des routines pour assurer leur survie. 

Tous ces gestes répétés sont la matière même de l’existence. Dans un camp de concentration, un homme continue de lacer ses chaussures mais les lacets n’existent plus, il n’y a plus de tissu raconte l’écrivain Primo Lévi. La dignité passe par la répétition de ces gestes. Exécutés machinalement ils relient un instant l’homme au souvenir de sa condition humaine.

Deux personnes qui mènent la même routine, ne la vivent pas de la même manière. Ce qui fait la différence, c’est l’engagement. 

C’est un effort dans le questionnement.

“Je peux faire la vaisselle en la considérant comme une corvée ou comme une chance d’avoir des assiettes” illustre Françoise McLean. 
“Ne devrait-on pas à chaque réveil prendre conscience de son corps, se demander comment il va et s’il n’a pas trop mal, peut-être même exploser de joie car une nouvelle journée s’offre à nous” s’interroge-t-elle. “On pense que tout est acquis, que c’est normal d’être en vie en se réveillant le matin” ajoute-t-elle.

Andrée appelle François tous les matins depuis 10 ans. ” Allo François, tu es en vie ? “ Il répond : “Je suis là.” Il pourrait décider de rester au lit à se plaindre parce que son corps lui fait mal ou aller jardiner.

La routine traque les choses les plus agréables auxquelles l’être humain aspire profondément. “Tant que je peux je vais au jardin. J’aime sarcler. Je suis à ce que je fais, j’oublie des idées noires. Je sens le soleil, un nuage qui le couvre. Je suis tranquille, l’esprit rangé. J’expérimente, ajoute ici et là des fleurs pour faire fuir les insectes et pour plus de poésie” exprime François Bihannic, retraité nonagénaire.

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La Routine, un tue-l’amour ? 

On entend souvent que le train-train quotidien tue l’amour. Les passions des premiers jours laisseraient la place à une routine délétère. Mais ce qui tue l’amour, ne serait-ce pas plutôt l’absence d’effort, d’engagement dans chaque instant de la vie à deux ?

Armelle Gentric nous raconte la routine émouvante d’un couple fêtant leurs 70 ans de mariage. “Ils se préparent tous les soirs leurs plateaux-repas et s’installent l’un à côté de l’autre pour écouter les informations. J’imagine bien qu’ils ont eu des hauts et des bas dans leur vie, mais je trouve magnifique cette scène routinière réconfortante et rassurante où tout l’amour tient dans un plateau-repas.”  

La routine, c’est partager l’intimité. Il n’y a pas d’explications à donner, pas de langage verbal. Elle est intériorisée, incorporée.

“Nous exécutons sans commentaire les mouvements d’une chorégraphie ancrés dans nos corps” précise Cyril Hazif-Thomas, psychiatre spécialiste des personnes âgées, directeur d’un espace de réflexion éthique région Bretagne.

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” La routine nous synchronise. C’est comme lever son verre et attendre que tout le monde soit prêt pour dire santé “ ajoute Cyril Hazif-Thomas, psychiatre du sujet âgé.

Tchin-tchin la routine, elles construisent nos relations sociales.

La routine, c’est simple comme bonjour ! 

Les premières phrases que nous échangeons pour démarrer une conversation sont si simples qu’elles peuvent nous faire penser à des formes vides, et entraînent même parfois des situations cocasses. Un “Comment ça va ? “ par exemple lancé à un proche le jour d’un enterrement !  

Mais ces routines conversationnelles qui parlent de la pluie et du beau temps ou le blabla du bureau permettent de nous rejoindre.

“Prévisibles, polies et légères, elles nous mettent à l’aise, introduisent des conversations plus profondes. Ces bavardages nous font ressentir des émotions positives et moins d’épuisement professionnel” expose le philosophe Éric Debardieux. Selon une étude, le simple fait de dire bonjour à son voisin nous rendrait plus heureux.
“C’est l’acte gratuit de faire plaisir à quelqu’un par un sourire” exprime Françoise McLean.

Elle est un rempart contre la solitude.

“Les routines, c’est le vivre ensemble dans la cité” exprime Éric Debarbieux .
Il y a des bonnes et des mauvaises routines. “Les violences faites aujourd’hui à l’école sont des routines d’incivilités, des banalités qu’on appelle harcèlements. Pour lutter contre ces violences incessantes, ce n’est pas de programmes scolaires miracles dont nous avons besoin mais de petites routines de prévenance au service d’un climat bienveillant et serein. Ce n’est pas je vais faire attention à l’autre aujourd’hui, c’est devenir quelqu’un de prévenant” souligne l’ancien professeur et philosophe Éric Debarbieux. 

Quoi de plus routinier que la civilité, que le fait d’exister avec l’autre.

Afin de donner des repères à des enfants lourdement handicapés, le professeur met en place ce qu’il appelle des “routines pédagogiques”. “Ces enfants explosifs savaient à peine lire et écrire mais nous décidons d’un rendez-vous hebdomadaire pour rédiger un journal mensuel. Tel jour écriture, tel autre lecture et chaque mois tombait le journal attendu de nos abonnés. Ce rendez-vous incroyablement désiré généré beaucoup d’entraide, de fraternité et de solidarité dans le groupe” explique t-il. 

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C’est peut-être ça finalement la routine: un voyage choisi, un itinéraire rythmé avec son lot de surprises, une manière d’habiter le monde qui nous relie à soi et aux autres.

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